« Les services de France Cohortes sont avant tout le fruit d’une co-construction »

A l’occasion de la campagne test de recueil de données menée par l’équipe Elfe auprès de leur cohorte pilote composée d’adolescents de 15 ans, nous avons souhaité donner la parole à Marie-Aline Charles, directrice de l’étude Elfe, et Grégoire Rey, directeur de l’infrastructure nationale France Cohortes, pour faire le point sur la collaboration entre les deux équipes.

Echange entre Marie-Aline Charles et Grégoire Rey

L'équipe Elfe vient de lancer une campagne test de recueil de données auprès d'un groupe d’adolescents de 15 ans, et dispose désormais de toutes ses données dans le système d’information de France Cohortes. Comment vivez-vous cette étape ?

Marie-Aline Charles : 

Elfe est la première cohorte française à suivre une population de 18 000 enfants depuis leur naissance en 2011 jusqu’à l’âge adulte. La cohorte aborde de multiples aspects de leur vie, afin de mieux comprendre comment leur environnement affecte leur développement, leur santé et leur socialisation. C’est une cohorte gérée à l’Ined, dans une unité mixte entre l’Ined et l’Inserm.

Elfe est également pionnière en tant que première cohorte à bénéficier des services de recueil et de traitement de données de l'infrastructure nationale France Cohortes. A présent, nous avons intégré l'ensemble de nos données dans le système d'information de France Cohortes et réalisé nos dernières enquêtes, comme la campagne test auprès de nos volontaires âgés de 15 ans.

Tout cela est le fruit d’un important travail de co-construction réalisé avec les équipes de l’infrastructure nationale, et qui va se poursuivre dans le temps.

Grégoire Rey :

La campagne test de collecte de données d'Elfe auprès des adolescents de 15 ans représente bien plus qu'un simple événement pour France Cohortes. Grâce à un travail de co-construction, notamment avec Elfe, notre infrastructure de recherche mutualisée offre désormais une base de services de collecte, de traitement et de mise à disposition de données opérationnelle.

À la suite à cette première expérience, notre organisation est plus industrialisée et mature, ce qui nous permet de nous projeter dans une prise en charge plus étendue d’acteurs et de services.

 

« Grâce à un travail de co-construction, notamment avec Elfe, France Cohortes offre désormais une base de services de  collecte,  de  traitement et de mise à disposition de données opérationnelle. » Grégoire Rey

 

Quels sont les objectifs essentiels pour la cohorte Elfe, et comment France Cohortes contribue-t-elle à les atteindre ?

Marie-Aline Charles :

Elfe recueille une quantité considérable de données auprès des volontaires, ce qui nécessite une protection maximale. Notre priorité est de garantir la sécurité de ces données au sein du système d'information (SI). Avec la croissance des enjeux liés à la sécurité des données, il était impératif pour nous de migrer vers un système plus robuste.

En outre, le maintien et la mise à jour d'un système d'information de cohorte sont coûteux et exigent des ressources humaines spécialisées.

C'est pourquoi rejoindre France Cohortes s'est révélé essentiel.

Grégoire Rey :

L’originalité de l’offre de France Cohortes est d’associer, dans une continuité de traitement, les étapes de collecte, d’intégration, de mise en qualité, de chaînage avec les données du SNDS, de catalogage, et de mise à disposition à des tiers.

Les premières valeurs ajoutées scientifiques que nous espérons pouvoir apporter à Elfe sont la possibilité d'adopter une structure et un hébergement des données et des métadonnées qui permettent de faciliter la généralisation de traitements sécurisées, conformes notamment au référentiel SNDS et à des normes de documentation.

Pour ce faire, nous sommes en train d’homologuer notre système d’information, avec, là encore, Elfe comme projet pilote. Elfe pourra ainsi assurer un suivi passif de ses volontaires, sans recourir à des questionnaires lourds et sujets à des biais de mémoire.

Nous travaillons parallèlement au vaste chantier de l'adoption d'un standard de métadonnées et de bonnes pratiques pour les renseigner et les mettre en valeur. Les données seront, nous l'espérons, plus facile à trouver, documentées de façon optimale, pour une réutilisation conforme aux exigences de rigueur en épidémiologie.

Quelles sont vos motivations à vous impliquer dans la construction de l'infrastructure nationale France Cohortes ?

Marie-Aline Charles :

Chez Elfe, nous sommes motivés depuis le début. Il nous a paru évident de participer à la construction de France Cohortes, pour faire en sorte que l’infrastructure soit bien adaptée aux besoins des cohortes

La mutualisation des expertises et la création d’outils bénéfiques à l’ensemble de la communauté des cohortes sont des sujets qui me tiennent à cœur depuis longtemps. C’est quelque chose que j’ai fait par le passé, au Centre de Recherche en Épidémiologie et Santé des Populations.

Investir dans la création d'outils profitant à l'ensemble de la communauté des cohortes en vaut la peine. Nous-mêmes profiterons des évolutions apportées par d’autres cohortes.
 
Piloter une cohorte est difficile. C’est une entreprise de long terme comportant beaucoup de challenges, à de nombreux niveaux. Le maintien de l’expertise informatique est complexe. France Cohortes est une réponse à ce nouvel enjeu de sécurité des données et de partage d’expertises avec les autres cohortes. Cela motive. Elfe sert les chercheurs, France Cohortes sert les cohortes !

 

  « La mutualisation des expertises et la création d’outils bénéfiques à l’ensemble de la communauté des cohortes sont des sujets qui me tiennent à cœur depuis longtemps. » Marie-Aline Charles

 

Grégoire Rey :  

Dans le cadre de mes activités antérieures au Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès de l’Inserm, je menais des travaux sur des problématiques communes, notamment sur les sujets de système d’information et de réglementation, très étroitement liées aux évolutions des besoins des chercheurs.

A mon arrivée chez France Cohortes en 2021, j’ai poursuivi et approfondi le travail de co-construction déjà initié avec les cohortes. Nous réunissons par ailleurs régulièrement nos instances de pilotage [1] pour partager les grandes orientations stratégiques et de moyens. Enfin, avec la mise en exploitation de l’infrastructure, nous avons développé une relation très structurée et lisible avec notre partenaire informatique, le DSI de l’Inserm.
 
J’ai l’ambition d’emmener les services plus loin, sur des sujets métiers, comme l’accompagnement à la conception d’un questionnaire, aux bonnes pratiques de data management, voire à la mise en œuvre d’un traitement statistique recourant aux infrastructures de calcul haute performance.

Pouvez-vous nous parler des défis les plus significatifs que Elfe et France Cohortes ont dû surmonter ?

Marie-Aline Charles :

Nous avons eu au début des difficultés de compréhension, car le projet était en train de débuter et l’équipe de France Cohortes, en train de se constituer.
Un autre enjeu s’est imposé en raison d’une contrainte de calendrier liée à l’étude. Elfe est une cohorte active nécessitant la réalisation d’enquêtes à des dates immuables correspondant à un âge précis des enfants.

Tout en poursuivant nos travaux, nous avons migré petit à petit vers les outils de France Cohortes dès qu’ils étaient opérationnels. Cela a nécessité une coordination importante avec les équipes de l’infrastructure nationale.

Grégoire Rey :

L’entrée de Elfe en parallèle à la construction de l’infrastructure a effectivement nécessité une grande agilité de la part des équipes, tant au sein de France Cohortes qu’auprès de nos partenaires (DSI). Nous avons réussi à faire monter en compétence des spécialistes de la donnée et à créer une équipe multidisciplinaire.

Il est évidemment vraisemblable que dans un premier temps, Elfe aurait assuré ses nouveaux recueils plus rapidement et avec moins de pression sur son ancien mode de travail. Je tiens ici à saluer l’engagement de Marie-Aline et son équipe dans cette œuvre collective, qui in fine, profitera à tous les suivants.

Quels sont les défis auxquels vous avez dû faire face pour garantir la qualité, la sécurité et la confidentialité des données collectées dans le cadre de la cohorte Elfe ?

Marie-Aline Charles :

Nous avons rédigé l’AIPD, l’analyse d’impact relative à la protection des données, liée aux nouvelles campagnes de recueil de données (10 ans et 15 ans), indiquant où nos nouvelles données sont stockées et quelles solutions techniques sont utilisées, avec l’aide de France Cohortes.
 
Pour l’intégration des anciennes données, elle se fait dans le cadre d’une mutualisation avec la cohorte Epipage 2, qui elle-même fera l’objet prochain d’une nouvelle déclaration à la Commission nationale informatique et liberté (CNIL).

 

« Entrer dans un nouveau système d’information conforme à des exigences de sécurité extrêmement fortes nécessite un accompagnement étroit auprès des équipes scientifiques. » Grégoire Rey

 

Grégoire Rey :

Entrer dans un nouveau système d’information conforme à des exigences de sécurité extrêmement fortes nécessite un accompagnement étroit auprès des équipes scientifiques.

Pour traduire les enjeux de sécurité des données de cohortes en réalités concrètes, France Cohortes a collaboré avec tous les acteurs — les cohortes, la DPO, délégation à la protection des données, le responsable de la sécurité des systèmes d'information (RSSI) et le DSI de l’Inserm, et informé régulièrement la CNIL des travaux menés.
 
Nous avons ainsi imaginé des solutions pour permettre une meilleure adaptation du métier aux exigences de conformité réglementaires, telle que l’attribution de rôles au sein de la cohorte et les flux de données, et inversement. Ces solutions mises en place avec Elfe vont pouvoir être mutualisées auprès d’autres cohortes.

Quelles sont vos perspectives vis-à-vis de l’infrastructure nationale ? Comment imaginez-vous qu'elle continuera à évoluer et à contribuer à la recherche et aux politiques publiques ?

Marie-Aline Charles :

En ce qui concerne Elfe, nous nous appuierons sur France Cohortes pour continuer à suivre la génération de jeunes nés en 2011 jusqu’à l’âge adulte. Le challenge, ce sont les adolescents. Il faut réussir à les motiver à devenir nos interlocuteurs à la place de leurs parents, et avec la perspective qu’à 18 ans, nous poursuivrons leur suivi.
 
Les appariements avec d’autres recueils de données constituent un autre enjeu. Je pense aux données issues du SNDS ou celles issues des évaluations scolaires nationales.

 

« Il sera de manière générale intéressant que l’infrastructure s’enrichisse d’un panel de services variés adaptés aux différents besoins des cohortes. » Marie-Aline Charles
 

A plus long terme, il faudra également que France Cohortes gère des données de génétiques et omiques, qui vont répondre à de grands enjeux pour les cohortes. Il sera de manière générale intéressant que l’infrastructure s’enrichisse d’un panel de services variés adaptés aux différents besoins des cohortes.

Grégoire Rey :

Au-delà des aspects de sécurité et d'ouverture des données, nous œuvrons à la mise en place d'un ensemble de services cohérents. Nous proposons notamment un accompagnement réglementaire sur la collecte comme sur la mise à disposition des données, et sur la communication et l'accompagnement des volontaires aux études de cohortes.

L'engagement des participants dans la durée a son importance. C'est la clé de voute d'une recherche de qualité sur des données de cohorte, et doit faire appel à des compétences en statistiques et en sciences sociales.

Quand les fonctionnalités les plus attendues par les cohortes seront accessibles aux utilisateurs de France Cohortes, nous avons aussi l'ambition de proposer un environnement permettant de développer et tester des méthodes et des outils innovants, comme des applications de recueil plus interactives avec les volontaires ou les personnels médicaux participants.

L’engagement dans un projet d’envergure peut être exigeant sur le plan personnel et professionnel. Qu’est-ce qui vous motive malgré les défis rencontrés ?

Marie-Aline Charles :

Ma carrière est axée sur une recherche portant sur les liens entre la santé et le développement de l’enfant. Il est très important pour moi de pouvoir coordonner la cohorte, et de le faire pour remplir une mission de recherche au sein de mon équipe. La cohorte est intégrée à mon projet scientifique, elle constitue un outil fondamental pour mener ce type de recherche.
 
Si j’avais un conseil à donner, c’est que les coordinateurs de cohorte aient toujours cet adossement sur une équipe de recherche. Et puis j’ai la chance de collaborer avec des équipes formidables. On ne fait rien tout seul !

 

« Nous pouvons également grandement remercier la cohorte Elfe. Nous bénéficions de son expérience dans la mise en place  et  le développement de notre offre de services. » Grégoire Rey

 

Grégoire Rey :

Ma première motivation est de contribuer à améliorer la connaissance sur des problématiques de santé publique. Voir la progression de nos services grâce au travail d’organisation, le recrutement de forces vives et expertes, la créativité dont nous avons dû faire preuve pour y arriver et le sérieux que nous y avons mis et nous mettons toujours me rendent fier et me motivent.
 
Les premiers résultats scientifiques qui sortiront en ayant eu recours à nos services seront, à n’en pas douter, un élément supplémentaire de fierté qui donneront du sens à notre action.
 
Nous pouvons également grandement remercier la cohorte Elfe, Marie-Aline et son équipe, pour leur implication et leur soutien. Nous bénéficions de leur expérience dans la mise en place et le développement de notre offre de services.

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[1] Les tutelles de France Cohortes : Inserm, Ined, Sorbonne-Université, Université Paris-Saclay, Université Paris Cité.

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Propos recueillis par Guillemette Pardoux

Photos : France Cohortes